Toute écriture subodore, respire un projet esthétique, son idée de la beauté dans l’art et la nature, et « celui-ci est tapi dans le ventre de ses phrases comme un enfant dans le corps de sa mère ». Et il revient à la critique de procéder avec une sorte de maïeutique, à l’accoucher et à le dénicher.
Or très souvent, cette critique est embourbée dans les marécages de ses propres présuppositions et des modes de lectures. Dans les textes africains, on y voit trop rapidement soit de l’engagement, soit de la postmodernité, soit encore de la post-colonie ou de la vision du monde baroque, du rire rabelaisien ou du concept de la créolité. Mais si toutes ces visions nous parlent de l’importance du propos dialogique, il y’a comme une mise sous tutelle de la littérature.
Patrice NGANANG dont le style trempé ne laisse personne indifférent, concentre sa préoccupation autour d’une question maitresse : « Au fond, est-il possible de lire la littérature africaine, moins à partir de son inscription mimétique dans les réalités du continent, les géographies nationales, ou la conscience de ses lecteurs vrais ou potentiels, qu’à partir de son enracinement dans la vérité ». Le Manifeste d’une nouvelle littérature Africaine, pour une écriture préemptive de Patrice NGANANG trace une esthétique de la littérature africaine dans ses formes les plus actuelles. Il s’agit d’une proposition et d’une tentative de définition de la littérature africaine contemporaine à partir de son soubassement philosophique, en la situant dans l’histoire des idées. En suivant la philosophie esthétique de Hegel, en partant « d’une réflexion totalement théorique qui essaie de définir le beau à partir de lui-même et sonder l’idée de celui-ci ».
D’abord l’idée de la tragédie, portée par la révélation pré-visionnaire de WOLE SOYINKA ; Ensuite l’auteur surfe avec « l’embarquement » de la littérature africaine dans l’histoire, sur son engagement pour dévoiler son encrage dans la modernité de l’Atlantique noir. C’est-à-dire, dans l’architecture insoutenable du négrier, mieux dans l’éruptive poésie de CESAIRE, et même dans les mots propres au roman de l’émigration ; Enfin, la généalogie de la littérature africaine passe par les « errements à la surface ambigüe du quotidien » – Le roman de TUTUOLA – pour dévoiler les termes de la banalité de la vie et de la mort au sein du continent.
La littérature africaine aujourd’hui se doit de s’inscrire dans ce que l’auteur appelle une écriture « préemptive ». En effet, bien plus que la retranscription de la tragédie (génocide – coups d’États – guerre civile – dictature etc.), l’écrivain africain se doit de créer un style d’écriture qui rend impossible à l’avenir la tragédie. On assiste alors à la mise en exergue d’une sorte de méta-vision, celle d’un écrivain originaire d’Afrique, par delà les soubresauts géographiques et identitaires. Un livre beau et original.
Note de lecture proposée par Jean Bosco BELL