Le Sénégal est en deuil. Amadou Mahtar Mbow, figure emblématique de la lutte pour la justice éducative et culturelle à l’échelle mondiale, s’est éteint le 24 septembre 2024 à Dakar à l’âge de 103 ans. Ce grand homme, premier Africain à occuper le poste de Directeur général de l’UNESCO, laisse derrière lui un héritage d’une richesse inestimable. Des hommages affluent de tous les horizons, célébrant une vie marquée par des engagements profonds et une carrière remarquable au service de l’Afrique et du monde.
Un parcours de combattant
Né à Dakar le 20 mars 1921, Amadou Mahtar Mbow débute son chemin de militantisme en s’engageant dans l’armée de l’air française à seulement 18 ans, pour combattre lors de la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, il poursuit des études en France, notamment à l’Université de la Sorbonne, où il obtient une licence en lettres et devient professeur d’histoire et de géographie. Ces années de formation seront aussi celles de ses premiers engagements militants : il fonde la Fédération des étudiants africains en France, organisation qui jouera un rôle central dans la conscientisation et la mobilisation pour l’indépendance africaine.
De retour en Afrique, il enseigne au Sénégal et en Mauritanie, tout en s’investissant dans la mise en place de programmes d’alphabétisation et de développement communautaire. Ses actions en faveur de l’éducation de base témoignent déjà de son désir de voir les Africains prendre leur destin en main. Ce souci de l’éducation deviendra un leitmotiv de son parcours.
Ministre et militant pour l’indépendance
Durant la période d’autonomie interne du Sénégal, Amadou Mahtar Mbow devient ministre de l’Éducation et de la Culture. Il quitte toutefois ce poste pour s’engager pleinement dans la lutte pour l’indépendance de son pays. Après l’indépendance, il retrouve le gouvernement sénégalais dans les années 1960, où il est successivement ministre de l’Éducation nationale, puis de la Culture et de la Jeunesse. Son action politique se distingue par son engagement pour la promotion des valeurs africaines et la construction d’une identité culturelle forte, dans un contexte postcolonial encore fragile.
Le premier Africain à l’UNESCO
L’année 1974 marque un tournant dans la carrière d’Amadou Mahtar Mbow : il est élu Directeur général de l’UNESCO, devenant ainsi le premier Africain à diriger une grande organisation des Nations unies. Réélu en 1980, il dirigera l’institution pendant treize ans, dans un contexte international tendu par la Guerre froide.
Sous sa direction, l’UNESCO se consacrera au développement de l’éducation, à la préservation des patrimoines culturels mondiaux et à la promotion des savoirs. Mbow se battra inlassablement pour un Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la Communication, permettant aux pays du tiers-monde de mieux contrôler leurs ressources culturelles et intellectuelles. Son travail en faveur de la restitution des œuvres d’art aux pays colonisés a laissé une empreinte durable, marquant un tournant dans la reconnaissance du patrimoine des pays du Sud.
Une figure de sagesse et de justice
Le départ d’Amadou Mahtar Mbow de l’UNESCO en 1987 intervient dans un contexte de tensions internes, avec le retrait des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de Singapour de l’organisation. Malgré ces crises, les hommages à sa sortie de l’institution sont unanimes. Ses pairs, même parmi les pays critiques, saluent son intégrité et son engagement en faveur de la paix et du dialogue culturel.
De retour au Sénégal, il continue à jouer un rôle majeur dans la vie politique du pays. En 2008, il préside les Assises nationales du Sénégal, qui marqueront un tournant dans les réformes institutionnelles du pays. Jusqu’à la fin de sa vie, Amadou Mahtar Mbow a été un érudit, publiant de nombreux ouvrages sur l’éducation, la culture, et les enjeux géopolitiques mondiaux.
Un héritage colossal
Amadou Mahtar Mbow laisse derrière lui un héritage colossal. Son combat pour une justice éducative, son action en faveur du patrimoine culturel mondial et sa défense des droits des peuples opprimés lui ont valu d’être salué comme l’un des plus grands intellectuels africains du XXe siècle. Le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a exprimé sa « profonde émotion » à l’annonce de son décès, soulignant « l’héritage inestimable » laissé par ce grand défenseur du multilatéralisme.
Pour l’Afrique et le monde, Amadou Mahtar Mbow restera à jamais une figure de la sagesse, un pilier de l’éducation et un homme de principes qui a su mettre son savoir au service du progrès humain. La deuxième université publique de Dakar porte son nom, symbole vivant de l’empreinte qu’il a laissée sur les générations futures.
Arsène BAMBI KONDO