
Compte rendu du propos de Sylvestre NGOUO NDADJO au Club de Philosophie de l’Université de Douala (Mercredi 27 janvier 2017).
La conférence offerte par l’intervenant sus cité était à bien des égards remarquable. D’emblée, il a conquis l’attention à travers un caractère fouillé, rigoureux et maitrisé de ses analyses. Il a abordé et discuté les plus grandes interprétations de l’œuvre de Marx avec un souci d’impartialité et de nuance qui force l’admiration.
Dans son propos liminaire, il a évoqué sa rencontre un peu tardive avec les Professeurs EMBOUSSI NYANO et MALOLO DISSAKE (en 3ème année de philosophie), une rencontre qui a totalement bouleversé sa manière de philosopher.
Pour lui qui s’intéresse à la théorie de la révolution sociale, à l’économie marxiste, ses recherches sont très souvent orientées vers la science. Cette tendance est le fruit de l’influence directe de ses deux principaux maitres.
Pour rendre compte de son thème, l’intervenant a tour à tour parlé de la conception marxiste de la science ; de la théorie de l’abstraction en rapport avec la science et l’ontologie ; de la révolution anthropologique et ontologique marxiste.
On peut résumer la question principale de cette conférence en ces termes : quelle est l’ontologie de Marx et en quoi elle permet de saisir le progrès de la science ? Pour commencer à répondre à cette question, Sylvestre NGOUO NDADJO va poser et mettre en relation, trois données/notions/concepts qui guident sa réflexion autant que celle du plus célèbre philosophe barbu : NATURE – HISTOIRE – TRAVAIL. Ce triptyque constitue le fil d’Ariane de sa démarche.
Parce qu’il n’est pas question de faire de l’Être la matière brute ou inerte, il convient d’aller au-delà du matérialisme des anciens. Pour ce faire, il faut saisir l’homme en le mettant en rapport avec ses relations spatio-temporelles, de générations en générations. La production est au cœur de la théorie marxiste qui elle est en rapport étroit avec la théorie darwinienne. Une théorie que Marx exploite pour faire sa lecture sociale. La production est liée à la réalité et l’espèce n’est pas sédentaire avant la production. En le disant le conférencier rappelle à la suite du Marx de depuis L’Idéologie allemande que le premier acte qui fait survenir l’humanité, c’est le travail. C’est de ce point de vu que Sartre a pu dire que : « l’existence précède l’essence ». On en conclut logiquement que l’homme n’existe pas tant qu’il ne travaille pas. Or l’ontologie est censée faire de l’homme ce qu’il est. Et ce qu’il est, est le produit de l’homme. Comment ?
L’homme est un être de BESOINS et l’objet de satisfaction de ces besoins se trouve à l’extérieur de lui. Il s’agit d’un ensemble de réalités qui se positionnent comme sa SUBJECTIVBITE EXTERIEURE. Dans la perspective de la DIALECTIQUE, l’homme séparé des réalités extérieures est un homme incomplet. Il est indéfinissable si on le détache de sa socialité, des besoins, de l’objet extérieur. Or la nature à elle-même en son état brut n’a pas la capacité de satisfaire l’homme de manière optimale, si elle n’est pas transformée. L’objet extérieur, en se combinant à l’homme devient une forme utile à son existence. Ainsi la dialectique de l’interne et de l’externe fait en sorte que son intelligence évolue. Grace notamment au travail qui avec l’expérience développe l’habileté.
Le travail qui est l’acte de naissance de l’humanité est avant tout dépense d’énergie. Le prix de la marchandise c’est le temps que nous avons fourni pour la fabriquer. La valeur de la marchandise c’est le travail de l’homme qui s’y est incorporé. Lorsque cette énergie est expropriée par le mécanisme de la plus-value, elle est non reproduite et le travailleur est entièrement exploité, dominé.
Parce que l’homme existe dans ce rapport qui le lie à l’extérieur, l’Etre devient une connexion et une relation avec l’HISTOIRE. De ce point de vu, l’Être n’est plus une substance, mais une relation et une connexion entre les choses. L’homme apparaît alors comme la synthèse des relations avec les générations et les connexions historiques. Son activité impacte la nature, laquelle modifie la sienne en retour – les morts nourrissent les vivants. Dans ce contexte que devient l’essence de l’homme ? Juste un ensemble de rapports sociaux et de production. D’où la critique sévère de Marx à l’endroit de la philosophie classique qui a intuitionnée l’homme, devenu sous ce prisme aliéné, dénaturé ? L’Être est la réalité totalisante. Ce qui ne veut pas dire que la conscience n’intervient pas dans la vie des hommes.
La subjectivité de l’homme se trouve à l’état sensible à l’extérieur de lui. Le travail devient le moyen à travers lequel l’homme s’objective et en consommant le produit de son travail, se subjective (Confère Lucien Sève). Ainsi, ce qui stimule le progrès de la science se trouve dans son ontologie, à travers la dialectique de l’objectival et du subjectival – La dialectique de l’objectivité et de la subjectivité conduite par le dynamisme de la production et des échanges. Il apparaît dès lors que c’est la réalité qui éduque nos sens ; ces derniers s’éduquent à travers le temps. L’objet existe et crée en l’homme la faculté. Plus l’homme produit, plus sa faculté évolue, et plus les instruments de production se perfectionnent. Son intelligence, en évoluant s’incorpore dans les instruments de production.
A la question de savoir comment la science qui est une réalité abstraite peut s’extraire de l’homme dans une sorte d’onto-genèse (les mots sont de Georges Lukács) ?, oui pour répondre à cette question, l’intervenant réplique que pour comprendre ce qu’est la valeur, il faut comprendre les rapports sociaux et les rapports de production. Sylvestre NGOUO précise : « on ne peut pas saisir la science indépendamment du rapport social », et remet sur la table la trame NATURE – HISTOIRE – TRAVAIL.
Le jeu de questions-réponses a permis d’évoquer tour à tour, la supériorité du matérialisme de Marx sur celui des anciens ; le rapport entre évolutionnisme et créationnisme ; la notion centrale d’aliénation ; la forme d’extérioration de l’esclave ; le rapport entre l’homme et la nature ; le Marx écologique ; la question des machines qui sous-tend celles de la fin du travail et de la fin de l’histoire ; des rapports entre l’empirisme classique et celui de Marx. C’était un moment de science d’un haut niveau qui a parfois un peu largué les plus jeunes. Mais ce fut aussi une très belle occasion pour cerner la pensée marxienne, complexe, multiple, en une proposition saisissante de son unité féconde et créatrice. C’est tout à l’honneur de Sylvestre NGOUO NDADJO.
Par Jean Bosco BELL N.
A lire :
- Georges Lukacs, Histoire et conscience de classe, essai de dialectique marxiste, Paris, Editions de Minuit, 1984.
- Karl Marx, Friedrich Engels, L’Idéologie allemande (critique de la philosophie allemande la plus récente dans la personne de ses représentants, Feuerbach, B. Bauer et Stirner, et du Socialisme allemand dans celle de ses différents prophètes), trad. franc. Gilbert Badia, Paris, Editions Sociales, 1982
- Karl Marx Œuvres philosophiques, trad. Maximilien Rubel, t. III, Gallimard / La Pléiade 1982.
- Le Capital, Livre I, sections 1 à 4, Paris, Flammarion, 1985.
- Sylvestre NGOUO NDADJO, Le paradoxe de la transsubstantiation de la force de travail : essai sur les fondements techno-scientifiques de la société d’automation chez Karl Marx, thèse de doctorat en cours à l’Université de Douala.
- De l’individualisme économique dans le Premier livre du Capital de Karl Marx, Mémoire de Master de Philosophie.
- -Esquisse d’une théorie marxiste de la découverte et de la connaissance scientifique, Mémoire en vue obtention du Master 2.